J’ai pété une case et c’est pas près de s’arranger.
Te souviens-tu de ton insouciance qui bondissait de ton corps dans un éclat de rire ? De ta puissante naïveté qui t’emmenait loin de cette rage qu’on te montrait à la télé ? Seul le printemps comptait et les tartines beurrées trempées dans un bol de chocolat chaud. On mangeait les feuilles acides et violettes des haies et les fleurs des trèfles dans les près. On s’allongeait dans la pente, roulant et hurlant jusqu’au dernier souffle de joie, jusqu’à la fin de la descente. On enterrait nos jouets — notre trésor — sous des cabanes improvisées de fougères et de branches. Des cowboys et des indiens, on s’en foutait, ce qu’on voulait : c’était fumer le calumet. Des rires aux larmes, des larmes aux rires, le temps filait et on oubliait d’aller manger.
Et puis… On a grandi et ces moments se sont perdus, chacun de son côté, cherchant à se débrouiller.
J’ai peur d’aller à l’école parce que j’ai pas révisé. — Et qu’il y a toujours un premier pour te snober. — J’ai peur du prof sadique qui passe entre les rangs, épiant ses victimes — Et qu’il y a toujours un dernier pour trimer. — Le ventre noué du matin au soir, du soir au cauchemar. Au réveil c’est déjà la nausée quand, devant le miroir, je constate les dégâts.
J’aimerai avoir du style dans mes vêtements soldés, des poings solides sur ce corps fragile, une belle gueule et surtout, les pouvoirs de mes supers-héros. Mais je ne suis qu’une gamine perdue entre la case zéro et fin.
Et le monde tourne, tourne, tourne… Obéissant à sa gravité, je marche au pas : je bosse, je bois, prends des pilules et dors, vomissant chaque jour la même vie. Et j’ai peur d’aller au boulot parce que j’ai rien pigé à ce qu’on me demandait. — Et qu’il y a toujours un zélé pour te tacler. Et un dernier, jeté à la rue, pour te supplier de la monnaie. —
Dans mes rêves, il n’y a ni flic ni maton, ni contrôleur ni patron… Ni exilé, échoué à Calais, fuyant les bombes.
Alors maintenant, j’attaque.
Anarchiste ou nihiliste, je m’en tape tant qu’il y a des flammes et de la caillasse. J’attaque parce que ce monde est de béton rempli de zombies et de banquiers. J’attaque parce que je veux sortir de ce cercueil douillet. J’attaque pour tuer l’ennuie et ma lâcheté, ne plus regretter. J’attaque parce qu’il n’y aura pas de révolution, de messie ou de solution à ma condition. — Marre de crever les années sans rien péter.
J’attaque parce qu’ils croient tous que je suis morte, mais ils ne voient pas que je bouge encore.
Du texte originel, j’ai gardé le titre, l’esprit et cette fin spectaculaire : cri de rage et de vie.